La
saga des Lifting Bodies |
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V.
Un bricoleur de génie |
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Création/Mise à jour : 20/08/2003 |
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Au même moment, un ingénieur plus doué, plus farfelu ou plus prosaïque que les autres, Dale Reed, est en train de jouer dans un Ranch de Californie (le Sterk’s Ranch) avec une maquette de son crû : un demi-cône au nez arrondi, au-dessus plat, muni de 3 roues montées sur fil de fer. Tiré comme un cerf volant ou par un avion radiocommandé à moteur thermique, l’étrange bazar vole, et plutôt bien, même. Mieux encore: muni ailerons rudimentaires, il évolue dans le ciel, en prenant des virages ou des axes d’inclinaison de façon fort correcte. Et il tient en l’air : sans aile, du moment qu’on le tracte ou qu’il reçoit une poussée. Ce que les calculs semblent affirmer, un bricoleur de génie vient de le prouver par la pratique. La forme idéale de véhicule pilotable pour rentrer dans l’atmosphère existe. C’est finalement… une baignoire (pointue). Ou un lavabo (effilé). Voire un fer à repasser à l’envers. Un appareil rond sur le dessous, plat sur le dessus et en forme de cône au sommet arrondi, qui produit par sa seule forme un ratio de poussée de 1,5…Un profil d’aile ventrue inversé. Enfin tout, sauf une forme d’avion conventionnelle ! Dale envisage d’en faire un modèle en taille réelle. Reste qu’il faut financer le projet : il a aussi des bouches à nourrir, ce jeune ingénieur passionné. Quelque temps tenté par le prix de la fondation Kremer décerné par les anglais au premier vol à traction humaine -100 000 livres- (réalisé quelque temps après, à peu de km de là, par le « cycliste vélivole » MacCready, autre fêlé notoire, avec son Gossamer Albatross) notre touche à tout, têtu, se remet au travail sur son fer à repasser volant. Et commence à frapper aux portes des responsables de la NASA. Il se trouve très vite deux supporters enthousiastes, et pas des moindres. Un autre ingénieur talentueux du nom de Dick Eldredge (à eux deux, ils ressemblent à Laurel et Hardy, l’un est petit rondouillard, l‘autre un grand efflanqué) et un nouveau pilote de X-15, Milt Thompson (il atteindra 214,100 pieds et mach 5,48 en 14 vols). Tous trois sont persuadés qu’ils tiennent là le véhicule spatial de l’avenir. Ils tentent alors de convaincre la NASA de transformer les 80 cm de balsa en véhicule de rentrée dans l’atmosphère. |
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Pas facile : l’engin ne ressemble à rien de connu, on ne sait même pas commet le tester en vraie grandeur ! Qu’à cela ne tienne, Reed a l’idée de réaliser des films 8mm de ses essais. Pour convaincre une Amérique qui sort à peine de sa vague médiatique et hollywoodienne d’envahisseurs extraterrestres et de pseudos preuves trafiquées de vols de soucoupes volantes, ce sont pourtant ces petits films qui vont réussir à débloquer les crédits pour construire la première « baignoire volante ». Les petits films 8 mm, habilement réalisés par la propre femme de Dale, finissent par lui obtenir …un mini-budget. Les médias locaux, avertis (on est aux Etats Unis, ne l’oublions pas) ont tout de suite trouvé un nom à ce projet fou : David Vincent n’est pas si loin que cela. Le 12 Novembre 1962, dans le Los Angeles Times », un article relate la construction en cours du "'Flying Bathtub (baignoire volante)» qui « pourrait aider les astronautes à rentrer ». On y voit, Milt Thompson allongé dans un assemblage de bois… qui fait furieusement penser à un homme en train de prendre son bain ! L’homme n’a pas résisté longtemps aux sollicitations des photographes, qui connaissent déjà ses exploits stratosphériques. Tout va alors très vite : en quatre mois seulement la construction du prototype est rondement menée : avec l’assentiment du directeur de la NASA, qui apprécie le génie qui se cache derrière ces gars et leurs petites maquettes radiocommandées, leur énergie créatrice et leurs projets fous. Le tunnel aérodynamique de Ames, situés au beau milieu de l’actuelle Silicon Valley (qui à l’époque n’a pas encore ouvert ses portes ; le transistor ne date que de 1947, on utilise comme mémoire des tores de ferrite, et le seul microprocesseur existant de la Fairchild Control Corp. qui équipera Apollo est encore en développement) ; le tunnel donc, est prêté pour les essais grandeur nature du véhicule final, qui se révèle être un assemblage hétéroclite de matériaux de récupération ! |
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Une autre passion de ces fous du manche, c’est en effet le vol radiocommandé. Le directeur du NASA Flight Research Center, Paul Bikle, grand pote de Chuck Yeager, visionnaire avisé et homme rigoureux, qui eût à diriger avec doigté cette horde de cerveaux en perpétuelle effervescence, en fait partie lui aussi. C’est simple : tous les participants au projet pilotent un avion de tourisme personnel ou font du modélisme ! Ils vivent l’aviation à fleur de peau. Voler est pour eux une habitude de chaque instant, un plaisir chaque jour renouvelé. Aussi trouve-t-on, et c’est plus rare, parmi les tests, un bon nombre de petits modèles de ce type : tous les « flying bodies » ont eu leur exemplaire en maquette radiocommandée. Et tous ont été largués non pas par un B52 au 1/24 ième, mais par un bon vieux modèle classique à aile haute… muni de deux moteurs en tandem montés à l’avant, ces fêlés ne sachant rien faire comme les autres. Le largage et l’ouverture du parachute de chaque maquette était télécommandé… procédé qu’on retrouvera en 1999… grandeur nature, avec les essais du X-38, le « dinghy de l’espace » de la nouvelle station spatiale internationale (ISS). L’engin grandeur nature est lui réalisé avec une structure de tubes d’aciers, pour les roues et le support du siège, qui au départ n’est pas éjectable, et la coque extérieure… en contreplaqué. Au passage, le groupe chargé de la construction récupèrent un grand spécialiste : Hernie Lowder, l’ingénieur qui a participé à la construction du Spruce Goose d’Howard Hugues. Pour 5 000 dollars, matériaux compris, l’affaire est conclue. Le cockpit est en plexiglass moulé « maison », copié sur celui du bolide d’Art Artfons, qui lui souhaite à deux pas de là franchir le mur du son terrestre sur son Green Monster. |
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Une voiture (?) munie d’un réacteur GE J79 (B-58 Hustler, F-4 Phantom et F-104 Starfighter) monté sur un train avant de Lincoln 37, une direction de camion Dodge et un extracteur de parachute qui n’est autre qu’un fusil à canon scié ! (pour la petite histoire, le réacteur acheté 5 000 dollars avait 65 ailettes de turbine tordues : Arfons les redressa une par une !). Le 27 octobre 64 il franchira 875, 505 km/h à bord de ce tas de ferraille ! Comme quoi le bricolage ça mène à tout !. Le fuselage de bois de notre engin sera monté par la « Briegleb Glider Manufacturing Company », située à Mirage Dry Lake, qui avait construit pendant la guerre des planeurs d’entraînement biplaces pour l’Army. Tous les autres éléments proviennent des surplus des hangars de la NASA. Le « bidule » est construit au fond d’un des hangars, discrètement, derrière un rideau… pas en raison du secret. Il a l’air tellement ridicule qu’on ne souhaite pas trop montrer à quoi sert l’argent des contribuables, à un sénateur qui traînerait ses guêtres par là, même si là, justement, les dépenses ont été minimisées. Les ingénieurs nomment l’espace ainsi délimité le « Wright Bicycle Shop », pour en même temps rendre hommage aux pionniers et afficher une dose d’humour évidente. L’engin s’appelle désormais M2-F1, M pour « manuel » (le M1 étant la maquette d’origine !) et F pour « flight ». Reste plus qu’à le faire voler, cet engin grotesque et mystérieux ! oui, mais comment ? |
Sources : Auteur de ce dossier : Didier Vasselle |
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