En
plus de ses problèmes technologiques, le projet Suntan était
l'objet de vues techniques contradictoires au sujet de sa praticabilité
et de la meilleure façon de faire des missions de reconnaissance.
Une différence d'opinion technique sur les délais réalisables
a contribué à la cessation progressive du projet. Vers le
milieu de 1957, l'opposition avait pertinemment condamné le projet.
Étonnamment, un des adversaires principaux était l'homme qui
a conçu et vendu le projet à l'US Air Force, Kelly Johnson.
Le soutien principal était l'équipe gestion du Suntan, en
particulier Appold et Seaberg, qui pendant quelques mois ont pu convaincre
de hauts fonctionnaires de maintenir le projet face à l'opposition
aux restrictions budgétaires. 36
Le changement de point de vue
de Johnson est apparemment intervenu pendant les six premiers mois d'étude
et d'expérimentation sur la praticabilité de l'avion à
hydrogène. L'US Air Force avait insisté pour un rayon d'action
minimum de 2800 kilomètres et a été convaincue que cette
distance et plus étaient faisables. Johnson, d' autre part, était
convaincu qu'un rayon d'action de 2000 kilomètres était
le maximun qui pourrait être réalisé. Les deux partie
se sont tenus à leurs vues durant toute la vie du projet. 37
Après la phase initiale d'étude
et d'expérimentation, le projet a continué pendant l'exercice
budgétaire 1957 comme prévu, avec un budget d'environ $19
millions. Lockheed a commandé 4 kilomètres d'aluminium extrudé
pour construire le CL-400; Pratt & Whitney a travaillé à
pleine vitesse en développant le moteur 304; le massachusetts institute
of technology a signé des contrats pour fournir un système
et Air Products s'est engagé pour construire une grande usine
de liquéfaction d'hydrogène à côté du centre
d'essai de Pratt & Whitney en Floride. 38
L'US Air Force a obtenu l'approbation
pour $95 millions pour le développement du Suntan pour l'exercice
budgétaire commençant en juillet 1957. La première indication
significative que le projet était menacé est venue quand
l'équipe de gestion du Suntan a invité les controleurs budgétaires
pour mettre à jour le programme de développement. La demande
a été inscrite aux ordres du jour du 22 août du Conseil
de l'Air Force, le groupe de gestion le plus élevé de l'USAF.
En vue de cette réunion, l'équipe
du Suntan a rencontré E. LeMay, ancien patron de Curtis. C'était
la première fois que LeMay avaient
un vrai briefing sur le Suntan et sa réaction initiale a apporté
la consternation à l'équipe. 39 LeMay a non seulement eu une mauvaise opinion sur l'utilisation
de l'hydrogène liquide mais était également apparemment
sous pression pour trouver des fonds pour d'autres projets importants.
Le 19 septembre, l'équipe reçoit d'autres mauvaises nouvelles:
des $95 millions demandé au budget pour le Suntan, seulement
$32,3 millions seraient rendus disponibles pour eux; le reste serait
transféré à d'autres projets. 40
Les vues de Johnson ont apparemment
contribué à la décision de l'Air Force d'annuler le programme.
Vers la mi-1957, James H. Douglas Jr. et Donald A. Quarles, secrétaire
de l'Armée de l'Air en mars 1957 lui rende visite. Douglas est
accompagnée du lieutenant Gen. Clarence A. Irvine, - sous-chef
pour le matériel et membre du Conseil de l'USAF. Les visiteurs,
préoccupés par le rayon d'action insuffisant du CL-400, lui
demande si il y a de la marge pour augmenter le rayon d'action du CL400.
La réponse: pratiquement aucun. 41
D'habitude, le rayon d'action
peut être augmenté en ajoutant plus de carburant ou en améliorant
la consommation du système de propulsion
pour une poussée donnée. Johnson déclare "nous
avons mis la quantité maximum possible d'hydrogène dans le
fuselage". L'hydrogène ne peut être stocké dans
les ailes à cause de l'échauffement cinétique et
de la minceur de celle-ci. 42 Johnson s'est tourné vers Perry Pratt pour des améliorations
espérés dans le moteur 304 et sa réponse était
également pessimiste: pas plus de 5 ou 6 pour cent d'amélioration
de consommation spécifique de carburant était prévus
sur une période de cinq ans. Les évaluations très basses
de marge de progression ont été également causées
par des problèmes opérationnels de logistique d'hydrogène
liquide. 43
Après avoir épuisé
leurs appels en octobre 1957, l'équipe du Suntan a rigoureusement
revu le projet pour l'adapter aux fonds disponibles. Pratt & Whitney
avait $18,7 millions pour continuer le développement du moteur
304. Un total de $11,6 millions a été assigné pour la
construction d'usines de liquéfaction d'hydrogène et $3 millions
ont été mis de côté. Le développement du CL-400
a été annulé, mais Lockheed a été invité
à continuer les essais d'installation carburant. Le contrat de
conseil du MIT a également été annulé. 44
L'équipe de Suntan, en particulier
Seaberg, n'a pas été convaincue que le pessimisme de Johnson
sur le rayon d'action était justifié. Les contrats pour
des études de projet supplémentaires étaient passé
non seulement avec Lockheed mais également avec North American,
Boeing, et Convair. L'étude complémentaire de Lockheed n'a
rien fait changer aux vues de Johnson. En tout, 14 conceptions ont été
considérées, allant des bombardiers à l'avion de reconnaissance
Mach 4 avec des comparaisons entre les carburants classiques et l'hydrogène
liquide.
Pour le même rayon d'action,
Lockheed a constaté que l'avion utilisant l'hydrogène liquide
étaient plus grand mais pesait moins lourd au décollage que
ceux utilisant des carburants classiques. Pour une vitesse donnée,
l'avion à hydrogène dépassait l'altitude maximale
des avions classiques de 3000 à 6000 mètres. 45 En mars 1958, un concept de Boeing semblait être le plus prometteur.
Propulsé par quatre moteurs, il volerait à Mach 2,5, 30
500 mètres d'altitude, et aurait un
rayon de 4100 kilomètres, presque deux fois celui du CL-400. L'avion
de Boeing était également considérablement plus grand
que le CL-400, avec une longueur de 61 mètres, une envergure d'aile
delta de 61 mètres, et une masse au décollage de 75 750 kilogrammes.
46
Les résultats finals des
études ont été présentés au Conseil de l'Air
Force le 12 juin 1958. LeMay, qui présidait la réunion, a
formulé les mêmes objections que précédemment mais
a permis une pleine discussion sur le sujet. L'équipe du Suntan
a estimé que la réaction générale était favorable,
mais ceci a été dissipé par deux points significatifs
en conclusion de la réunion. Même si un nouvel avion réussi
de reconnaissance était développé, le président
ne pourrait pas permettre son utilisation en raison des risques politiques
internationaux. 47
La réunion de juin a précipité
la fin du Suntan, mais le Conseil de l'USAF a estimé que le travail
sur le moteur devrait continuer pour avancer la technologie. Puisque
la mission du Suntan concernait aussi la CIA, cependant, la décision
de juin n'était pas définitive. Un Comité mixte du
service de la défense et de la CIA a été formé pour
faire des recommandations concernant le Suntan. Le comité, dirigé
par Edwin Land de Polaroid Corporation, a tenu des réunions pendant l'été puis a recommandé
l'abandon définitif en 1958.