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IX. Les vols constructeurs
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Translate : in English in Spanish in German 9-3 Le premier vol plané

 

 

La présence des journalistes à Edwards pour les vols captifs avait été discrète. La mobilisation médiatique était attendue pour le premier épisode spectaculaire du projet, le vol (plané) inaugural du X-15. De fait, le Col Brown, responsable des relations publiques de l'Air Force à Edwards, devait recevoir plus de soixante demandes d'accréditation pour ce premier vol fixé au 26 mai 1959, puis reporté au 3 juin et enfin au lendemain. Mais le 4 juin, les journalistes ne cachèrent pas leur déception en apprenant qu'une fois encore la mission était renvoyée au lendemain. Motif invoqué : des difficultés avec le SAS.

Le 5, les journalistes, installés dès les premières heures du jour en bout de piste dans une zone réservée sous un soleil déjà brûlant, attendirent plus d'une heure le Col Brown leur annoncer avec une inébranlable courtoisie que le vol était ajourné par suite de difficultés techniques de dernière minute. La mission était dorénavant programmée après le week-end, le lundi 8 juin 1959. Si ces reports successifs pouvait agacer les observateurs, ils atteignaient aussi le moral des techniciens de North American qui s'acharnaient jour et nuit à préparer le X-15 et qui, au dernier moment, étaient confrontés à d'imprévisibles difficultés qui les obligeaient à reprendre le compte à rebours au début...

Pour encourager les mécaniciens, Scott Crossfield avait pris l'habitude de se présenter sur le parking plusieurs heures avant chaque mission, Il s'installait dans le cockpit et attendait (Il lui arriva d'y rester huit heures !). Sa seule présence était un réconfort pour tous ceux qui oeuvraient à vérifier son avion. Scott appréhendait cette mission car elle correspondait au "moment de vérité" cher aux pilotes d'essais. Le X-15 n'avait jamais réellement pris l'air et la preuve que cet avion volerait comme prévu par les simulations, restait à apporter.

 

 

A 7h53, le 8 juin 1959, la mission "1-1-5" débuta par le déploiement du dispositif de sécurité, composé de véhicules incendie et d'un hélicoptère H-21. Quelques minutes plus tard, les avions d'accompagnement, deux F-100 et un F-104, décollèrent rapidement devant le NB-52A porteur des vedettes de ce cortège, le X-15 n° 1 et Scott Crossfield. Une demi-heure après le décollage, la "Stratofortress", croisant à 11 600 m au-dessus du désert de Mojave, avertit le sol, par la voix de Chuck Bock, que le compte à rebours du largage avait franchi le cap des cinq minutes. A 8h39, le "T minus one minute" (Heure H moins une minute) résonna aux oreilles de Crossfield qui poursuivait tranquillement sa check-list. "Les avions d'accompagnement sont parés, Scott" signala Bock, puis les dernières secondes furent comptées. De puissants haut-parleurs au bord de la piste, transmettaient ces annonces. La tension s'accroissait.

Cinq... quatre... trois... deux... un... larguez !

A la verticale du Rosamond dry Lake, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest d'Edwards, le X-15 se séparera du NB-52 pour la première fois et proprement ; on avait craint que la dérive dorsale ne fût venue heurter les bords de l'échancrure pratiquée dans le bord de fuite de l'aile du bombardier, et ait déséquilibré le X-15. Celui-ci était désormais livré à lui même, dans le ciel pur de Californie, et se comportait de façon satisfaisante.

— 10 970 m d'altitude ; excellent comportement général annonça Crossfield. "Les APU ont l'air de fonctionner correctement. J'ai l’oiseau tellement bien en mains que j'ai presque envie d'essayer un tonneau barrique" En fait de tonneau, Scott se limita à des manœuvres plus prudentes, quelques virages et un essai de déploiement des volets, au long de sa descente en S. Le X-15, piloté avec le mini-manche latéral ("high g"), se présenta bientôt pour l'atterrissage. Crossfield commença par larguer la section inférieure de la dérive ventrale puis s'aligna en finale à 500 m d'altitude et à 500 km/h de vitesse indiquée.

Huit secondes plus tard, Il abaissa les volets à fond (-38°). L'avion se mit à osciller violemment à plus ou moins 5° sur l'horizon : l'amortisseur de tangage du SAS était tombé en panne. Cette défaillance, due à une erreur de manipulation au sol, avait été découverte lors des contrôles précédant le largage. Crossfield agit donc au mieux avec la gouverne de profondeur, mais la situation, loin de s'améliorer, empira, à cause d'un mauvais réglage du mini-manche. "Le X-15 tanguait comme une barque sur une mer déchaînée !", raconta Crossfield. "Nous plongions vers le désert à plus de 300 km/h. il fallait absolument que le contact au sol se fasse exactement en phase avec le bas d'une oscillation, sinon je savais que je casserais la machine."

Scott, tu es maintenant à 230 (pieds), Relax... Trains sortis... OK... 30 (pieds), lui disait Bob White, qui observait attentivement la situation depuis le cockpit de son F-104, et guidait le retour du X-15 vers la plus longue piste du Rogers dry Lake. Et Crossfield, tout en luttant avec un admirable sang-froid, broyait du noir: " J'étais complètement absorbé par mon effort pour sauver l’avion, pour le ramener entier, mais une pensée amère s'était infiltrée en moi et devenait obsédante : malgré tout notre amour, toutes nos études, et en dépit de notre volonté de perfection, le X-15 s'avérait complètement instable".

Le X-15 à l'atterrissage

 

 

Finalement, à 280 km/h et alors que l'avion relevait un peu le nez au bas d'une oscillation, les skis heurtèrent brutalement le lac asséché, aussitôt suivis du diabolo avant, et le X-15 glissa dans un impressionnant panache de poussière sur 1500 m. Tandis que de toute part convergeaient les véhicules des pompiers, de la police militaire, des officiels et des journalistes, Crossfield, assis dans son cockpit, procédait aux contrôle après vol et consommait sa déception.

Cependant, la solution à l'instabilité longitudinale du X-15 relevait d'une mise au point des commandes de vol et du SAS, sans remettre en cause la conception du véhicule. Du reste, dès le deuxième vol, l'indésirable oscillation disparut complètement. Toutefois, il était désormais hors de question de voler avec un amortisseur de tangage inopérant et les approches à l'atterrissage se feraient dorénavant avec le manche central et non plus le mini-manche latéral.

Dans l'immédiat, devant les journalistes redevenus encombrants, il s'agissait de se montrer tout à fait satisfait et Crossfield, fraîchement douché, se plia peu après, en costume de ville, à l'exigeante corvée de la conférence de presse. De proclamer alors, devant un auditoire enthousiaste: "Certains formulaient des doutes sur le pilotage de l'avion. Pour ma part, j'ai toujours soutenu le contraire. Je l'affirme encore plus aujourd'hui : le X-15 est un avion très agréable aux commandes. Nous avons démontré ce que nous devions démontrer, à savoir que le X-15 vole et que ses systèmes fonctionnent !" Le premier pas était fait.

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